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4 novembre 2013 1 04 /11 /novembre /2013 22:28

hebergeur imageLu par Julien Sansonnens.

Lu dans le cadre du défi "Rentrée littéraire 2013".

Le site de l'auteur: Bastien Fournier.

 

Après "Le Cri de Riehmers Hofgarten", l'écrivain valaisan Bastien Fournier trace son sillon d'écrivain romand à l'indéniable personnalité. Paru dernièrement aux éditions de l'Aire, son dernier opus, "La Fugue", s'inscrit dans le prolongement de "Pholoé" - qui évoquait déjà une fugue. Il se distingue par ailleurs par une sensualité exacerbée, déjà présente dans "Pholoé", et qui s'exprime dès les premières lignes de l'ouvrage.

 

De premières lignes certes statiques, puisqu'elles dessinent le portrait d'un personnage. Pourtant, que de fascination dans ces phrases construites comme un gros plan photographique! Celles-ci dépeignent l'éveil d'une jeune femme - qui fait écho à l'éveil du jour. Le simple fait que cette scène d'éveil se place en début de roman, et que la fille dépeinte soit nue, dans un chalet en rase campagne, donne tout de suite le ton: il sera question d'éléments essentiels. Cela est encore souligné par la sensualité de l'écriture, qui s'attarde volontiers sur les parties du corps de la fille ("L'air circulait sur ses chevilles, montait le long des jambes, s'insinuait à l'arrière des genoux et entre ses cuisses. Ses épaules libres baignaient dans la douceur de la température.") et relègue à l'arrière-plan, sans regret, les artifices du décor des monts italiens.

 

Mais l'émerveillement né de la vision d'une jeune femme nue qui s'éveille en communion avec la nature ne saurait constituer, à lui seul, l'étoffe d'un roman. Du coup, l'auteur casse l'enchantement au deuxième chapitre. C'est à ce prix que l'action décolle, si ténue qu'elle soit, enrichie de quelques personnages qui la font passer d'un état statique à une mouvance dynamique. Le lecteur cesse de fantasmer sur cette fille seule, à lui offerte le temps d'à peine deux pages: il y a là un paysan qui la reluque, et aussi Peter, l'Allemand âgé, qui l'héberge. Plus tard, viendra aussi son compagnon... puisqu'il s'agit quand même d'une fugue.

 

La fugue, démarche de mouvement, s'inscrit en en effet en faux avec l'image initiale du roman. Pour ce qui est de la fille fugueuse, l'auteur en montre le résultat, étonnamment immobile; en parallèle, il montre les efforts dynamiques de son compagnon, parfois arrosés de bière, transportés en voiture, pour la retrouver. L'alternance s'installe dès lors. Et le gars, de bières en amourettes, va refaire à sa façon la fugue de la compagne qu'il pourchasse. Mais l'amour est-il présent?...

 

Et côté fille, l'enchantement cède brutalement la place à la violence d'étreintes non désirées: "Elle voulut s'esquiver. Il saisit ses avant-bras, les écarta, exerça sur elle une forte poussée qui la précipita sur le lit. Elle se débattit. Il se jeta sur elle. Elle lui griffa le torse. Il cria et la frappa au visage. Le sang monta dans sa tête avec la chaleur et la douleur de la gifle. [...]" Un viol aux ambiances haletantes qui, du fait de l'alternance serrée des points de vue mise en place par l'auteur, devient à la fois un dialogue et un combat dont les acteurs frappent alternativement - à la manière d'une corrida, peut-être, ou d'un match de boxe. Un combat, aussi, qui trouve son vainqueur et sa vaincue, soumise: "Elle remua la tête des deux côtés, une dernière fois; oppressée par le poids et la force de l'homme elle abandonna toute résistance et laissa son érection fouiller dans ses cuisses."

 

De Berlin à l'Italie, il fallait, force nous est de le constater, que Bastien Fournier écrive un roman dont le titre soit, de façon très directe, "La Fugue". De l'enchantement des sens à la brutalité du réel, son dernier bref ouvrage s'avère poignant. Il captive son lectorat grâce à des chapitres si courts qu'ils ont l'allure de brèves séquences. Le lecteur admirera par ailleurs l'écriture poétique de l'écrivain valaisan, forte dans ses effets et dans une mise en scène qui déconstruit progressivement l'enchantement créé par la vision excessivement idyllique d'une jeune fille qui s'éveille, fraîche et nue, dans la beauté intacte de la campagne italienne.

 

Bastien Fournier, La Fugue, Vevey, L'Aire, 2013.

 

 

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