Lu par Yv.
Défis Rentrée littéraire et Premier roman.
Le site de l'auteur et de l'illustrateur.
Tout ce qu'un inventaire peut avoir de sensuel... tout ce qu'il peut receler comme découvertes, visuelles et autres... c'est tout cela que le primo-romancier Jean-Claude Taki a mis dans "Sotchi inventaire". Un roman qu'il sera judicieux de lire en gardant sous le coude un autre ouvrage, "Sotchi pour mémoire", livre d'images illustré par Guillaume Reynard. En effet, Guillaume Reynard semble être le personnage moteur de "Sotchi inventaire": évoqués dans ce roman, ses dessins se retrouvent dans "Sotchi pour mémoire" jusqu'à en devenir indissociables - un peu comme les toiles de Pierre Lamalattie complètent nécessairement son roman "121 curriculum vitae pour un tombeau", l'un se présentant comme le "making of" de l'autre.
Astuce proustienne cependant, de la part de Jean-Claude Taki: pour brouiller les pistes (oh, c'est vraiment pour la forme!): Jean-Claude Taki, l'écrivain, ne donne jamais le nom de famille de Guillaume, le dessinateur. Mais c'est si mince qu'on veut bien croire que Jean-Claude Taki et Guillaume Reynard sont bien les acteurs de "Sotchi pour mémoire" et de "Sotchi inventaire".
Sotchi... à quelques mois des Jeux Olympiques, l'auteur a la sagesse de montrer cette ville en s'affranchissant de l'agitation médiatique liée aux compétitions sportives. Sa vision de la ville donne à voir les reliquats de l'ère soviétique, quitte à accepter de jouer la partition un brin éculée de la nostalgie de l'Est communiste. Ainsi sera-t-il question, et le lecteur s'y attend un peu, d'hôtels au charme suranné, de vodka, de restaurants pas chers du tout - du moins pour les Occidentaux.
On pourrait dire que tout cela constitue un bon roman de voyage, quoiqu'un peu statique, puisque bien souvent, l'auteur se contente d'observer un dessinateur qui observe sa chambre d'hôtel afin d'en dessiner les objets en une façon d'inventaire. Reste que là-derrière, un fil conducteur est présent à la fois dans "Sotchi inventaire" et dans "Sotchi pour mémoire": la mer, qui dévore le personnage d'Olga, morte, qui hante les deux livres. Il y a dans "Sotchi pour mémoire" quelques pages où l'on voit les vagues, dessinées par Guillaume Reynaud: elles finissent par envahir les pages, comme si le lecteur était appelé à se noyer à la suite d'Olga. Quant à l'écrivain, il se lance dans un exil intérieur dont le transport est la métaphore; il se trouve réduit à jouer sur les mots: en disant "d'Olga" en français, il donne à entendre "longtemps" (долго) en russe.
Les rencontres du voyage constituent un pôle du récit, son pôle sensuel, avec ses éclats lyriques et ses limites. Des limites que nous avons peut-être tous connues au fil de notre vie sentimentale: une raison difficile à comprendre pour des tiers nous empêche de poursuivre telle histoire d'amour. Les descriptions des moments de passion donnent à l'auteur l'occasion de développer de longs paragraphes, invitant à se plonger longuement dans la vie des sens.
Tout cela amène le lecteur à se dire, au fond, que la narration est très visuelle. Pas faux: l'auteur se met en phase avec la mission picturale de son personnage principal, évoqué familièrement à la deuxième personne du singulier - ce qui impose au lecteur de se glisser dans la peau de l'artiste. Mais l'auteur sait aussi jouer la carte de l'olfactif, que ce soit comme attrait ou comme repoussoir (l'odeur de petit lait de telle femme, par exemple).
Il est enfin possible de considérer la cuite à la vodka qui marque ce roman comme un tournant nécessaire afin de partir sur des bases plus saines après avoir fait le tri. Dès lors, le voyage se poursuit, entre Sotchi et le Kazakhstan... Attentif à la vie des sens, considérant que la mort d'une femme aimée est plus importante que des jeux olympiques même pas abordés, ce roman goûte aux choses concrètes et fait mouche, à la manière d'un bon roman de voyage qui conjugue les rencontres humaines et l'évocation, même discrète, de lieux vus. Elle fait écho, de manière poétique, aux dessins de Guillaume Reynaud, qui conjuguent une certaine naïveté, un côté brut, à une précision épatante.
Jean-Claude Taki, Sotchi inventaire, Paris, Intervalles, 2013.
Jean-Claude Taki et Guillaume Reynard, Sotchi pour mémoire, Paris, Intervalles, 2013.
commenter cet article …