Lu par Fragments du paradis.
Lu pour les défis Rentrée littéraire, Littérature belge et Nouvelles.
Le site de l'éditeur - merci pour l'envoi de ce recueil!
Ces personnages nous ressemblent. Ils sont issus d'un quotidien que nous, humbles lecteurs, connaissons et vivons. Agnès Dumont offre, avec "Mola mola", un recueil de nouvelles qui met en scène des personnages tout à fait ordinaires, dans des décors qui ne le sont pas moins. Cela, avec un penchant pour les personnages de grand âge.
Le décor, d'abord: l'environnement liégeois est omniprésent, certes, si l'on excepte la nouvelle qui conclut ce livre et lui donne son titre, "Mola mola" - et qui met en scène, entre autres, un poisson-lune lisboète. La ville de Liège n'est cependant jamais dépeinte à fond, si ce n'est par quelques traits ayant la rapidité d'une esquisse, d'un coup de crayon. C'est largement assez pour assurer un ancrage belge minimal; et cela permet à n'importe quel lecteur francophone, qu'il soit de Fribourg, de Montréal ou de Paris (voire de Dakar) de se sentir chez lui.
De même, les personnages des nouvelles de "Mola mola" sont très ordinaires et, de ce fait, suscitent l'empathie. Le lecteur relève cependant un penchant régulier pour les personnages âgés. L'auteur s'aventure ainsi dans les foyers qui accueillent les aînés, mais aussi dans les appartements des banlieues. Il y a de quoi sourire, par exemple, en découvrant la destinée de JR, à savoir Jeanne Rose, une vieille dame qui a découvert les ivresses de la kleptomanie. Ce personnage est certes attachant; mais en lui donnant le nom du "méchant" de Dallas, l'auteur souligne, en exploitant les références d'un divertissement connu de tous, son côté ambivalent. Et elle interroge le lecteur: comment, tu vas te mettre du côté de la voleuse?
Mine de rien, les nouvelles de ce recueil jouent le jeu de l'expérience littéraire, un jeu auquel la brièveté du genre se prête particulièrement bien. "Jeanne", deuxième nouvelle de l'ouvrage, est à ce titre un fort beau dialogue de sourds, d'autant plus terrible qu'il intervient en famille, entre personnes de générations différentes. Les italiques guident le lecteur, jusqu'à une issue définitive, bien imbibée d'alcool pour faire bon poids: "Et ça, plutôt mourir!".
Il y a aussi des épisodes spécialement touchants, comme "Khadja Nin", où l'on se demande s'il va se passer autre chose que l'arrivée d'une fille adoptive dans son nouveau foyer - une attente attisée par quelques éléments qui, bien mis en avant, vont intriguer le lecteur. Mais non: le procédé est éminemment déceptif. Tout au plus relève-t-on ici la mise en place des rapports de force qu'induit cette arrivée, et l'étrangeté d'un accueil conçu comme festif, pour la fille qui arrive du Burundi et se réjouit plus d'un biscuit offert que de l'éclairage du jardin. A l'instar de cette nouvelle, les textes de ce recueil constituent essentiellement des tranches de vie, des morceaux d'existence insignifiants dans l'absolu, mais qui, pour les personnages, revêtent une certaine importance, pour ne pas dire une importance certaine. Un peu comme ces tranches de vie que nous vivons tous, avec leurs espoirs et leurs fausses notes.
Une peinture de l'ordinaire: c'est peut-être ainsi qu'Agnès Dumont et "Mola mola" sauront séduire le lecteur. Le tout est baigné par les accents de Frank Sinatra, Jeanne Moreau ou Khadja Nin, voire Vincent Delerm - autant de musiques ordinaires, pour ne pas dire "mainstream", qui parlent à tout un chacun. Peindre le monde de tout le monde, tout en y recherchant le peu d'exceptionnel qu'il revêt, le pâle éclat d'un diamant perdu dans le fumier d'un quotidien banal? Telle est la démarche de l'auteur. Et c'est réussi.
Agnès Dumont, Mola mola, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2013.
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